Au croisement, un hommage au « centro »

Durant la dernière année, plusieurs personnes m’ont demandé de relire de mes poèmes en particulier : celui que j’avais créé en hommage au centre-ville de Sherbrooke. Comme j’ai réalisé aujourd’hui que cela fait un an jour pour jour qu’il fut prononcé lors du lancement du plan d’aménagement du centre-ville (et lendemain à la soirée Slam du Tremplin), je me suis dit que, contrairement à mon habitude, j’allais vous partager ici la version écrite de ce texte, intitulé « Au croisement ».

Le centre-ville de Sherbrooke - photo par Marianne Verville« Au croisement », parce que le centro, c’est la première place où je suis atterrie à mon arrivée à Sherbrooke. Parce que c’est là que j’y ai trouvé une communauté enrichissante, tant artistiquement qu’humainement, qui m’a propulsée dans mes projets et m’a amenée à faire voyager ma parole. Parce que ce cher centro, c’est le croisement entre nature et urbanité, un vent de fraîcheur pour la native de la banlieue montréalaise en moi. Et parce que semblerait-il  je n’arrive pas à – et ne veux pas vraiment – m’en détacher.

Bonne lecture!

Au croisement

Tout part d’un croisement
de vents et de rivières
à creuser les vallées
de montagnes et de rivages
accoster au pied du courant
là où ça forme encore des grandes fourches
là où on navigue plus vraiment

La terre a pris le sillon de nos ancêtres
une ville encore jeune
quelques rides à peine
remarquez
le port altier de la Reine des Cantons
sur les maisons essaimées
du centre aux quatre coins
plus loin que l’horizon

Ici est un lieu sans horizontales ni verticales
sur les cartes trop plates
et les rapports d’angles abstraits
ce qu’on en a dit sur papier
n’est qu’une parcelle de ce qu’on vit
depuis des générations
entre la Magog et la Saint-François
ça bourdonne
ça bouillonne
ça brille le soir
quand on regarde le ciel
sur le pont d’la Belvédère
en écoutant la rivière cascader
au cœur de la centrale

On descend la Frontenac
laissant de côté les chiffres
au profit des légendes
on entend dans le bruissement des arbres
les récits de cour d’école
jusqu’aux souvenirs des anciens
dire que la justice s’ordonnait
dans ce qui est devenu l’Hôtel de Ville
au tournant de la Dufferin
c’est là qu’est né le centre-ville

Ses bâtiments sont des coquillages
tendez l’oreille
ils chantent les moulins perdus
et les cloches des manufactures
ils jouent les espoirs d’un peuple
élevé dans le Petit-Canada
village phénix sur une nouvelle Alexandre
on raconte encore dans les murales
des histoires construites
autour des chemins de fer
et sûrement d’une couple de bouteilles

On écrira
des poèmes éphémères
sur nos viaducs à reconstruire
pour ouvrir le paysage
on criera
en descendant la King
sur les fesses
durant le Carnaval
ou en pleine tempête
qu’on fasse du centro un maelström
un tourbillon de gens
de saveurs de lumières d’idées
de rêves en marche
à s’faire des mollets gros
comme un Maxi Louis
on couvrira les toits de verdure
et les rues de grains de café
remettre l’odorat à zéro
sentir qu’on est chez soi
chez nous
partout
dans tous les sens des côtes
et des falaises

On pourra les traverser sans escalade
sans frein sur nos chemins
recoudre les quartiers en une courtepointe
des petits points de nos grands-mères
aux coupes folles de nos créateurs
si tout le monde s’y met
et arrête de tirer son bord de couverte
si tout le monde admet
qu’on a tous notre place sur la Well
à l’ombre de la cathédrale

Sherbrooke
notre centre-ville est un remède aux angoisses
un attentat à la solitude
par la communauté qui l’habite
du travail à l’école
de l’appart à la station de bus
c’est une invasion à coups de bienvenue
pour tous ceux qui viennent s’y ressourcer
de boutiques en restos
de sentiers en soutien
à faire tomber les barricades sociales
que ses personnages deviennent des emblèmes
comme l’ange qui veille
sur nos rues et nos âmes

Sherbrooke, centre-ville
là où on revient et renaît
le quartier nous adopte avant qu’on ait pu l’adopter
c’est le domaine de l’effervescent
là où d’un terrain vague germera un potager
du local vide s’allumera un projet
des micros émergeront des étoiles
là où les façades montent toujours la garde
et les enfants joueront dans les parcs encore
quand nous aurons légué ce centre-ville
aux prochains
quelle trace voulons-nous laisser
dans la pierre et dans la brique?
dans l’air et dans la mémoire?

Ce manifeste prend la rue
pour la faire danser
la modeler à l’avenir
pour dire que le centro
est plus qu’un divertissement
plus que des tours à bureaux
plus que des logements
plus que des spectacles
pour prouver qu’il est quotidien
rassemblements et bonheurs à partager

Le centro n’est pas un formulaire
il est trop diversifié pour les cases
il n’est pas une directive
c’est la direction
le départ et l’arrivée
ne le prenons pas pour une marchandise
car il se donne bras ouverts
chaque jour
avec un cœur chaud
à faire déglacer le Lac des Nations
à faire évaporer les doutes

C’est notre place
notre centre-ville
au croisement de nos vies

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